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Le blog du touilleur
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30 octobre 2010

Mai 68, Desproges

En licence de lettres modernes, j'ai pris une UV qui s'intitulait "Mythes et textes contemporains" avec une prof très compétente, Mme Leclerc. Nous avions à produire un travail autour d'une "mythologie" contemporaine, d'abord par oral puis par écrit (un compte-rendu, en somme, faisant état de nos investigations sémiologiques et dans lequel devait apparaître un corpus en annexe). Certains avaient travaillé sur le jouet, d'autres sur la jeunesse...

Avec une camarade, nous avons choisi mai 68 et pendant deux mois j'ai chiné chez les bouquinistes à la recherche de vieilles revues datant de cette glorieuse époque (oui, je sais, mon propos est orienté, j'ai toujours adoré ce mouvement). L'essentiel de ma partie (car nous avions réparti à parts égales les tâches dévolues à chacun) s'est fondé sur l'analyse d'un vieux Match, superbe objet mythologique dont je m'étais délecté à scruter les photographies, à traquer l'orientation vaguement réactionnaire des légendes... et -cerise sur le gâteau- à démonter les rouages d'une hallucinante interview d'Eugène Ionesco, lequel se répandait comme un vieux clown triste, sans doute nostalgique de sa propre jeunesse, sur l'inanité d'une telle contestation. La rhinocérite avait à nouveau frappé, le célèbre auteur avait tour rallié le camp de ceux qu'ils combattaient autrefois : les assis. Bref...

A cela, j'avais ajouté une conversation entre Sartre et Cohn Bendit, quelques slogans bien sentis -tous célèbres- et... un extrait de Desproges que j'avais en tête depuis longtemps. Un morceau des Chroniques de la Haine Ordinaire. Ca claque comme une sentence et c'est si bien tourné :

" L'humanité est un cafard. La jeunesse est son ver blanc.Autant que la vôtre, je renie la mienne, depuis que je l'ai vue s'échouer dans la bouffonnerie soixante-huitarde où de crapoteux universitaires grisonnants, au péril de leur prostate, grimpaient sur des estrades à théâtreux pour singer les pitreries maoïstes de leurs élèves, dont les plus impétueux sont maintenant chefs de choucroute à Carrefour. "

En glissant cette citation, je savais que ma prof allait réagir. Mais comment ?

Quelques semaines plus tard, dossier noté et corrigé, quelques commentaires. Je me précipite sur le passage des Chroniques. "Pierre Desproges ayant tendance à la critique systématique, son propos n'a pas valeur d'exemple". Réaction intéressante. Contempteur impitoyable de notre époque moderne, l'artiste restreint à sa dimension de polémiste. Il y a du vrai là-dedans et je pense que l'intéressé lui-même en avait fait une posture. Mais avec un peu de malice, on dira que la remarque de cette enseignante achoppe sur une impression qui n'est pas la réalité. En vérité, j'ai coupé la remarque trop tôt. Car voici ce qu'écrit Desproges sur mai 68, après :

"Mais vous, jeunes frais du jour, qui ne rêvez plus que de fric, de carrière et de retraite anticipée, reconnaissez au moins à ces pisseux d'hier le mérite d'avoir eu la générosité de croire à des lendemains cheguevaresques sur d'irrésistibles chevaux sauvages."

Vu comme cela, l'individualisme forcené de l'humoriste se teinte d'une compréhension pour ce qui fut un sincère mouvement de révolte. Preuve, s'il en est, que Desproges savait aussi adhérer ou opérer des nuances que la violence de son verbe a quelque fois occultées. Mais je m'égare, mon propos concernait d'abord mai 68...

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