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Le blog du touilleur
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10 août 2010

Philippe Delerm

77_delermIl y a quelque facilité à railler Philippe Delerm, quand on réclame à la littérature des larmes et de la douleur, au nom d’un romantisme suranné. L’inévitable présence d’un narrateur tourmenté, apanage de nos temps incertains, assure au récit son lot d’impudeurs, de scandales ou de fiel jetés à la face de la société post-moderne. On l’a vu cent fois, chez Millet, chez Houellebecq, etc. Et tout cela dans une langue crue, volontairement grossière… les enfants de Céline sont légion. Mais Céline, lui, était véritablement ce qu’il écrivait, pour le meilleur et pour le pire.

Le monde de Delerm, au contraire, n’est porteur d’aucun chagrin dramatisé par l’écriture, d’aucune posture haineuse, d’aucun scandale apparent. S’il y a une souffrance, elle s’exprime sur un mode mineur, comme on dit en musique, au rythme d’une pulsation lente, toujours la même depuis son premier roman, La cinquième saison, en 1983. Pas de grandes effusions, donc. En parallèle, l’écrivain ose le mot « bonheur », tant méprisé par notre littérature moderne. Il lui donne même le titre d’un livre paru en 1986 : Le bonheur, tableaux et bavardages. Dans ce charmant recueil écrit au plus près du quotidien, la méthode Delerm y est à l’œuvre : exaltation panthéiste de la nature, joie de la domesticité scandée par les heures du jour, intérêt pour le détail et l’insignifiant. Ce qu’un critique appelle « le minimalisme positif » s’incarne dans une forme fragmentaire qui divise la joie en atomes. Les enfants incisent les hannetons pour voir de quoi c’est fait, Delerm prend le pouls de son propre bien-être. Par une magie discrète, on y entend également la respiration de ceux qu’il aime : sa femme Martine et son fils Vincent, déjà vif et frigant. Certains tableaux anticipent La première gorgée de bière : une promenade à Honfleur lui permet de réhabiliter le pronom indéfini « on » et de toucher du doigt l’universalité du propos. Cela frôle rarement le ridicule (exception faite du chat qui se pose sur le pull pendant que Delerm écrit), c’est joliment troussé, ça coule comme du bon miel.

Finalement, on n’en voudra pas à l’auteur de ne pas se lacérer la chemise, de ne pas se frapper la poitrine en lançant des imprécations. Ce n’est pas son genre, ce n’est pas sa vie. Fallet avait pour habitude de mélanger le whisky et le beaujolais, au gré de ses humeurs et au péril de sa santé. Delerm, lui, s’en tient à l’or blond, aux mousses ambrées ou aux petits portos qu’on sirote pépère au sortir d’une journée savamment domestiquée. [à consommer avec modération, je précise]

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