Rustres...

Dans ma rue, les vieux sont acariâtres et considèrent que c'est aux jeunes de les saluer. Ils surveillent le monde par le petit bout de la lorgnette, se font pincer les rares cheveux qu'il leur reste par des marâtres qui les aiment à leur façon. L'un de ces valétudinaires égrotant et fulminant m'a un jour tiré par le crochet, arguant de ce que le trottoir était à lui, et comme je tentais de donner à la conversation un tour qu'elle ne prenait pas, où les civilités suppléent les sourires pour confirmer qu'il est possible de vivre en bonne entente, il m'asséna quelques amabilités où je retins, suprême injure, des propos extrêmement discourtois à l'endroit de mon automobile... laquelle, vexée, pétarada plus que de coutume. "Pousse ta caisse, elle pue !" surenchérit l'esthète, tandis que sa promise, aussi désirable qu'une feuille d'impôts, gargouillait des insanités et s'apprêtait certainement à me passer le plumeau et à me prendre pour la dernière araignée qu'on écrase. Une habitude contractée dans mon travail me pousse à hisser mon niveau de langue quand mon interlocuteur baisse le sien. Au football, on considèrerait que je fais un "ascenseur" et on sifflerait une faute contre moi. Mais dans la vie, qui est un aussi un jeu, surtout avec les demeurés, la posture est délectable. Je ne prétends pas avoir pourfendu mon adversaire d'un jour, je crois que les épées s'enfoncent facilement dans la guimauve. Mais je doute qu'il ait compris le sobriquet dont je l'affublai dans un irrésistible mouvement d'orgueil : "Rustre".

Je ne sais pas si on peut nommer la connerie; on l'appelle d'un nom un peu vague qu'on utilise tantôt par dérision, tantôt par affection, et qui unit dans le même cercle le dernier des abrutis et un proche un peu farceur auquel on tient. Cela n'interdit pas de signifier à ces gens, aussi vieux soient-ils, que l'âge n'est pas un privilège.