Monsieur Propre

Monsieur Propre a 38 ans. Mais il a toujours fait plus. Dans sa famille, on est propre de père en fils. Car Monsieur Propre est le fils de Madame Ajax et de Monsieur Bricolage. L'une est au fourneau, et le deuxième est au marteau.

Tout petit, Monsieur Propre est obsédé par son poids. Comme il a peur d'engraisser, il décide de dégraisser. A l'école, il ne supporte pas une assiette sale à la cantine, et il est toujours prêt à filer un coup de main aux dames, en cuisine, pour que tout soit net.

Il n'est pas étonnant qu'à cette époque, les avis de ses professeurs soient unanimes : "Elève brillant".

Monsieur Propre a trouvé sa voie.

Malheureusement, quelques années plus tard, une cruelle histoire d'amour lui fait perdre tous ses cheveux. Qu'importe, Monsieur Propre reste digne, décide de se mettre à la musculation pour montrer qu'il ne se démonte pas, et il crée sa propre entreprise de nettoyants ménagers.

Comme il est modeste, il choisit de se mettre en photo sur tous les produits. C'est le succès immédiat. Monsieur Propre devient une icone : sa photo orne tous les magazines de presse.

La Propremania fait des ravages : tous les camionneurs décident d'adopter son look, en se faisant la tête d'Aladdin, et en se musclant comme Stallone.

Son sourire devient un emblème, et un compliment que les femmes adressent aux hommes qu'elles trouvent séduisants : "Toi, tu souris comme monsieur Propre !".

Aujourd'hui, monsieur Propre, loin de se faire mousser, vit une existence paisible dans la campagne normande. Il est très fier d'être devenu un symbole de la lutte anti-saleté, mais il demeure ce qu'il a toujours été : un homme lucide.

                            Peut-être que Monsieur Propre, avatar du génie d'Aladdin, renvoie à "la psychanalyse des liquides purificateurs" sentis "comme une sorte de feu liquide dont l'action doit être soigneusement mesuré, faute de quoi l'objet lui-même est atteint" (Roland Barthes, Mythologies, 1957). Je poserai la question à une femme de ménage que je connais...