16 ans plus tard.

Autrement dit des visages changés, mais d'autres qui n'ont pas vieilli. Un oncle malade, décrit comme lointain, presque mythique, semble familier. Au détour d'une tarte, on échange quelques mots avec la belle-soeur de la défunte, qu'on imaginait plus sévère -la belle soeur-, mais qui paraît une chose assez chétive. Son fils la flanque, pas à la porte, car il est bien trop absent pour cela. La voisine me salue, se plaint de ne plus pouvoir conduire. Patiente, son auxiliaire de vie attend. Je me dis que je ne la reverrai plus. Cette dame avec qui j'aurai échangé deux phrases dans ma vie ne sera qu'une ligne informelle dans la rubrique décès d'un journal pour quinze lecteurs. Et ce journal, je ne le lirai même pas, puisqu'il n'est pas distribué dans ma ville. On devrait confier certaines personnes à Annie Ernaux, sa plume, son art de ressusciter ce que d'aucuns appellent de façon méprisante "les gens de peu". Ces gens expédiés en un hommage religieux, 91 années d'une vie réduite à "elle aimait le tricot", "elle faisait des mots croisés", tandis que la glose évangélique la noie dans un flot de paroles lénifiantes, pour la gloire de Dieu seul. Tu n'étais rien, petite dame, tu promenais ton chien tous les jours et la cérémonie nous rappellera qu'il s'appelait Toby. Mais Toby qu'on a oublié dans le cercueil et toi qui t'y trouves vous serez accueillis à bras ouvert, car le royaume de Phildar est ouvert à ceux qui le méritent.