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Le blog du touilleur
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19 juillet 2011

La promesse ou Ca dégouline sous les estrades -9-

La lecture de cette nouvelle fut un ravissement. Elle avait craint d’être déçue, car elle en attendait beaucoup. Or, le récit était globalement maîtrisé et progressait selon un crescendo qui jouait avec les sentiments du lecteur. Cette histoire impossible lui parut d’une grande sensibilité, celle-là même qui avait éclaté durant l’exposé. Elle s’attacha davantage au personnage masculin, car il fonctionnait comme un autoportrait. Laurent y avait certainement mis beaucoup de lui-même, de ses espoirs, de ses doutes. Certains passages avaient la tonalité d’un journal intime ou d’une lettre qu’il aurait écrite spécialement à son attention… qui sait ? Le seul bémol concernait le début. Il jurait avec le reste. 

De son côté, il attendit fiévreusement, tout en feignant de mener une existence normale. Il n’avait pas changé le cours de ses habitudes, mais il nota qu’au fil des jours la relation qu’il entretenait avec Angélique prenait un tour étrange. Ils ne se disputaient plus, semblaient plongés dans une sorte de léthargie qui rendait leurs échanges d’une inédite banalité. Elle-même s’en étonna, mais attribua cette évolution à la fatigue qu’elle éprouvait, car elle n’avait pas finalement pas tenu ses résolutions : elle sortait encore un peu trop. Mais il ne lui en tenait plus rigueur. La voir par intermittence lui suffisait. Le reste était comblé par les rires de ses copains… et par l’espoir que sa nouvelle puisse plaire à madame Salmont.

Imperceptiblement, il sentit que quelque chose se passait, accentué par l’attente. Pendant quelques jours, pourtant, il eut peur. L’enseignante lui parut soudain plus distante. Elle assurait son cours, sans le gratifier de ses regards habituels, agrémenté de son joli sourire qui formait des ridules autour de ses yeux. Et lorsque la fin de l’heure arrivait, elle lui répétait d’une façon mécanique : « Je vous parle bientôt de votre nouvelle ». Puis elle s’éclipsait précipitamment, comme appelée par d’autres contraintes. Il se crut soudain abandonné. Et c’est à ce moment précis qu’il prit enfin conscience de ce qu’il ressentait.

En fait, il s’était interdit d’éprouver un tel sentiment, car celui-ci contrevenait à toutes les bienséances et, en dépit de son air indolent, Laurent vivait dans la crainte de la marge. Il n’avait pas encore assez d’assurance pour devenir ce qu’il était vraiment : un jeune homme original, dont la créativité ne demandait qu’à être révélée.

Pour sa part, ce qui l’avait éloigné de lui pendant quelque temps était un atroce dilemme : d’une part, elle avait adoré cette nouvelle et l’avait annotée de longues heures. Elle lui en ferait un compte-rendu détaillé et elle nourrissait le secret espoir que la conversation se prolonge. D’autre part, cet enthousiasme avait décuplé le sentiment qu’elle lui vouait et qu’elle appelait « amour », parce qu’elle ne pouvait plus se cacher cette vérité. Et la force de ce sentiment créait en elle une atroce culpabilité qui lui empoisonna l’existence et rejaillit sur sa vie conjugale. Depuis son terrible aveu, Marc ne lui adressait plus que des bribes de phrases et les enfants comprirent que quelque chose se passait. Maman les rassurait : papa était un peu fatigué et il fallait le laisser tranquille. Mais un soir, Clarisse, attendant d’être seule avec elle dans la cuisine, la fixa droit dans les yeux : « Je sais très bien que tu mens ». Puis elle s’engouffra précipitamment dans le couloir et claqua la porte de sa chambre.

La situation ne pouvait pas durer. Armande savait qu’elle devait assumer la force de cet amour en rejetant l’ancien, en reniant tout ce qu’elle avait construit jusque-là. Mais elle présumait aussi que ce bouleversement précipiterait toute la famille dans le chaos. Et si elle considérait Marc capable de surmonter cette épreuve, elle ne voulait pas imposer cela à ses enfants.

Au terme de cette période, elle prit une décision à la fois sincère et hypocrite : sincère, parce qu’elle avait décidé de consommer cet amour ; hypocrite, parce qu’elle le vivrait dans la clandestinité, pour l’instant. Ainsi, elle ménageait son plaisir et les siens. Toutefois, le choix était dangereux. Il faudrait se cacher, afin que le secret ne soit pas éventé. Dans un premier temps, tout au moins.

Elle choisit volontairement le mardi pour parler à Laurent, au terme de son cours. C’était ce jour-là qu’Angélique devait partir en urgence. Profitant de son absence, elle jouerait son va-tout. Peut-être qu’il refuserait ses avances. Cela dit, elle avait perçu trop de signes pour que ses intuitions lui paraissent totalement fortuites. Dans sa nouvelle, notamment. Il était sûr qu’il l’avait écrite pour elle, pas simplement pour obtenir un sauf-conduit littéraire. En fait, son expérience et les réflexions qu’elle avait menées depuis des années sur le sentiment amoureux l’inclinaient à écarter l’hypothèse d’une erreur.

A la fin du cours, elle lui demanda de venir, car il n’osait plus la déranger depuis des jours. Il en fut surpris et rougit, ce qui la fit sourire.

« Laurent… je suis désolé de ne pas avoir pu vous parler ces derniers temps. Je… je tenais à vous dire que j’avais adoré votre nouvelle.

-          Vraiment ? »

Il venait d’avaler un arc-en-ciel.

« Oui, vraiment. J’ai retrouvé dans votre histoire tout ce que j’aime chez vous… enfin, plutôt tout ce que j’ai aimé à travers votre exposé : un sens aigu de l’observation, une façon de sentir les êtres qui est la marque d’un vrai talent, d’une vraie sensibilité… franchement, vous devez persévérer. Il y a encore des maladresses ici et là et je n’ai qu’une seule vraie réserve : le début du récit. Mais c’est très prometteur. Je dirais même que c’est un texte extrêmement séduisant. »

Un silence s’installa. Quelque chose de décisif se jouait dans le temps suspendu. La parole qui allait suivre ferait basculer leur relation et ils le savaient. C’est lui qui parla le premier.

« Ecoutez… c’est peut-être audacieux ou inconvenant de ma part. Mais j’aimerais beaucoup vous inviter à dîner ce soir. Je voudrais poursuivre cette conversation avec vous. »

Elle baissa les yeux. C’était gagné. Non seulement gagné, mais l’initiative venait de lui, ce qui le rendit encore plus désirable à ses yeux. Il se révélait, déployait ses ailes. C’était tout ce qu’elle désirait pour lui. Elle ne lui voulait que du bien, parce qu’elle l’aimait profondément.

 

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