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Le blog du touilleur
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24 novembre 2013

Aux contempteurs de chaque époque, fans de Muray.

Extrait d'un article de François Bégaudeau, paru dans la partie "Rebonds" de Libé, et intitulé "Jamais contents".

Dans la joie, ce n’est pas le fondement marketing qui irrite, ni la dépolitisation qu’elle est supposée induire : c’est la joie elle-même, en tant qu’occupation heureuse du présent. Ce qui ne va pas, ce qui n’ira jamais, c’est l’époque, le contemporain — « comptant pour rien » en langue transversale jamais avare d’un jeu de mots, francité oblige. L’époque est l’ennemi du transversal, qui se clame intempestif et n’est que mélancolique, qui se clame mélancolique et n’est que dépressif, parce qu’elle a le défaut majeur d’impliquer des éléments vivants. À toute époque il déteste l’époque et préfère le révolu au présent, qui a contre lui de participer de cette vie dont l’énergie juvénile des rassemblements festifs est une intolérable incarnation.

Cette mauvaise humeur pourrait se nommer ressentiment. Elle est au principe du raisonnement et non à sa conclusion, on gagne à le comprendre.

Faut-il lui opposer une bonne humeur tout aussi connement principielle ? Un parti-pris d’adhésion à tous les sautillements contemporains ? Plutôt promouvoir un autre mode d’appréhension de « l’époque ». N’être plus le penseur regardant passer le monde comme une vache un train, jalousant/vilipendant sa vitesse, mais celui qui accompagne le mouvement pour mieux l’observer et le rapporter. Ce qui nous manque, ce ne sont pas des idées, des visions, des verdicts ; c’est de la narration. Du texte à fleur de faits, qui ne peste ni ne s’extasie. Délicatesse du récit, grossièreté du pamphlet. Par elle, sans m’exciter dans un sens ou dans l’autre, je tresse dans des mots ce qui se passe. Par elle je me tresse moi-même dans ce qui se passe. Je peux raconter le 21 juin 92 qui nous vit donner notre premier concert de punk-rock, et croyez bien qu’avec nos dix-sept reprises et zéro compo Mozart pouvait trembler. Raconter aussi, pourquoi pas, le 21 juin 2004 où, cherchant le sommeil en vue d’un réveil matinal, j’aurais pu canarder au fusil à pompe le groupe d’en bas qui reprenait du Genesis. Au moins dans ce dernier récit ma mauvaise humeur se donnera pour ce qu’elle est ; elle ne se grimera pas en résistance, en pensée critique, en pensée tout court.

 

                                                                                                                                                                                          

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