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Le blog du touilleur
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10 novembre 2012

Réécriture

Rosemarys-baby-PosterDans la quatrième nouvelle de son livre Au début, François Bégaudeau transpose le célèbre film de Roman Polanski, Rosemary's baby, sous forme d'un récit qui fonctionne sur des allusions appuyées et parvient en même temps à s'en démarquer. La relation entre les deux oeuvres peut être abordée à l'aune de différentes thématiques. Choisissons-en une : l’onomastique (nom des personnages, nom des lieux, par exemple). Dans la nouvelle de l'auteur, on reconnaîtra donc Guy le mari, Rosemary, la femme, qui devient une narratrice sans patronyme, entièrement dévolue à l’accomplissement de son haut dessein maternel, les Castevet (légèrement modifiés en « Castavet »), Donald Baumgart malicieusement rebaptisé « Bogart » (pour la connotation hautement cinéphilique), le docteur Sapirstein (ainsi nommé dans le film). Autour de ces points d’ancrage gravitent de véritables créations fictionnelles, réduites à un patronyme ou plus longuement évoquées : oncle George, Rose (la belle-mère de la narratrice), Timothy (prénom élu éminemment religieux : étymologiquement « honneur » et « dieu ») et -clin d’oeil à l’actrice principale du film-, un autre choix envisagé pour le bébé -s’il s’agit d’une fille- : Mia. Enfin, dernier personnage et pas des moindres : Dieu lui-même, que dans sa grande ferveur religieuse la narratrice désigne par un pronom personnel absolu (« Lui »). D’autres noms propres dessinent un arrière-fond historique. On citera le plus emblématique : Robert Kennedy, -dans la réalité, fils de… Rose !-. Cette figure apparaît lors d’une scène cauchemardesque qui fait écho au film de Polanski.

Au début du long métrage, un travelling tournoyant dévoile le bâtiment où se nouera le drame (en vrai, le Dakota Building au pied duquel mourut Lennon). A quelques pas de là, une immense forêt devient, par la grâce d’une traduction littérale, un « parc central » (récit de Bégaudeau). Un peu plus au sud de New York, la ville de Baltimore convoque à la fois un imaginaire nourri de visions artistiques (allant de Warhol à Edgar Poe) et la grande arlésienne du film : Baumgart, rival invisible et mystérieuse voix téléphonique chez Polanski, fraternel et vivant convive chez l'écrivain. Cette antithèse motive une corruption des événements :  dans le film, on sait que le  gant perdu n’appartient pas au rival de Guy, mais à Hutch, le grand absent de la nouvelle. La trame du récit ne nécessitait pas l’intervention de ce véritable adjuvant. Le voilà donc gommé. Ne l’est pas en revanche le flou identitaire qui pèse sur la fin de la nouvelle. Regardons de plus près. Au moment où elle accouche, la narratrice elle-même s’assimile à une « enfant gâtée ». Mais elle assume, en un geste totalement inattendu, la fonction ordinairement assignée à l’homme : séparer une femme de son enfant. Dès lors, n’assisterait-on pas à une perversion de la Sainte-Trinité, qui retournerait la croix et nous expédierait tout droit chez le diable polanskien ? Exit le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ici, ce serait plutôt : Mère, Enfant et Père, tout à la fois. Prosaïquement se joue le drame d’une femme que sa foi a rendue monstrueuse, tout autant que la compagnie d’un mari falot et sous influence. Chez Polanski, la généalogie familiale est supprimée : Guy tombe sous la coupe des Castevet. Chez François Bégaudeau, c’est en premier lieu le père qui dicte sa loi. Dans les deux cas, les effets de cet effacement sont les mêmes : perte des repères, visions de cauchemar, conclusions désastreuses. Dans les deux cas, il me semble, la tragédie qui se joue est celle d’une femme seule.

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