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Le blog du touilleur
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18 octobre 2011

Fiction épistolaire

Pauline,


Je t’ai écrit une lettre que j’ai postée la semaine dernière, avec le secret espoir de te parler à nouveau. Mais tu ne la liras pas. Ni celle-ci, ni toutes les autres qui suivront. Peu importe. Je les rédigerai quand même, comme si rien ne s’était passé, comme si tu t’étais absentée. Je briserai ainsi le silence de ces derniers mois et au regard de ce geste, ta mort n’aura aucun sens. D’ailleurs, qu’elle ait précédé mon retour ne signifie pas ma défaite. J’avais de toute façon rendez-vous avec toi, au-delà de cet événement qui te soustrait du monde et me condamne à te parler en vain. Si par hasard, tu venais à m’envoyer un signe de ta présence, ce serait une reconnaissance de mon opiniâtreté. A tout prendre, il s’agirait d’un progrès notable sur le long chemin que j’accomplis jusqu’à toi. Autrefois conquis, par ma faute perdu, ce cœur qui a cessé de battre a lesté le mien d’un insatiable désir. Je ne sais si sa borne sera ma propre disparition ou la certitude de t’avoir arrachée à la mort. Je ne puis me situer entre ces deux extrémités. Il faudra que le destin choisisse. Je m’emploierai à l’y aider.


C’est ta mère qui m’a prévenu de l’atroce nouvelle. Bien après. Personne d’autre n’aurait pris ce soin, car tous tes amis se sont détournés de moi. Ils t’ont enterré, tandis que je vivais dans l’ignorance du désastre. Cela ne change rien : quand bien même ils m’auraient accepté, je n’aurais rien partagé avec eux, surtout pas le malheur de t’avoir perdue.


Donc, je n’en ai pas pris ombrage. Au contraire, je m’y attendais. Les circonstances de ta disparition elle-même m’ont paru procéder d’une logique implacable : il fallait que tu retrouves ton père. Tu m’en parlais si souvent, vestale de sa mémoire. Pourtant, son souvenir n’engendrait aucune émotion. C’est moi qui, à ta place, buvais l’écume de ce drame. Ma pudeur m’empêchait d’en savoir davantage. La moindre question eût aboli ce mystère dans lequel toute ta personne semblait s’incarner. Ta disparition en est le prolongement ultime, en même temps qu’un défi lancé à mon imagination.


 

Hier, pour la première fois, j’ai poussé la grille du cimetière où tu reposes. Comme à l’accoutumée, tout se taisait, non pas à l’unisson de ma peine, mais parce que rien dans ce village n’a jamais vécu. Tu me le disais toi-même. N’est-ce pas que tu me le disais ? A présent, te voilà engloutie et tu ne peux protester. On a choisi pour toi. Pas plus que ton père n’aurait voulu te laisser, pas plus tu n’aurais imaginé ton corps ailleurs que sous un ciel incarnat. Tu le sais : nous fuyions le gris comme la synthèse la plus médiocre de tout ce que nous rejetions. En conséquence, je ne viendrai plus te voir. Cet endroit ne te ressemble pas.

 

D’ailleurs, je ne saurais définir un lieu où tu te plaisais. Tu semblais te soustraire à l’espace et je ne cherchais pas même à organiser le mien, lorsque dans l’intimité de notre amour, nous tentions d’échapper à ceux qui nous entouraient et qui, feignant de nous prodiguer de vertueux conseils, organisaient le chaos. Je présumais de mes forces puisqu’à ceux-là j’ai cédé dans un moment d’inconséquence. Tu ne me l’as jamais pardonné. Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui, ma Pauline. Ta mort m’a promis un automne un peu plus long que d’ordinaire. Toutefois, il s’annonçait sur l’autre rive que j’ai atteinte. Souvent, tu me jurais –ô grands Dieux !- que toi aussi un jour tu y parviendrais et je te répondais en riant : « Tu m’y retrouveras couché, j’ai trop d’avance sur toi ! »  Alors, furieuse, tu me demandais à nouveau de ne jamais te quitter. A ce moment précis, c’est toi qui aurais pu le faire. Ton départ aurait saccagé mes vieilles années. Hélas, je me suis chargé d’organiser le désordre dont l’issue fut, sans doute, ce malheur ultime. Je ne puis croire au hasard et je me sens responsable de cette trajectoire, malgré le passé, malgré ton père. Mais je reste persuadé qu’avec la même ardeur je puis déchaîner des forces antagonistes qui, bien plus qu’à la vie, te ramèneront à moi.

 

Dans l’immédiat, je n’ai qu’une obsession : cet été que nous avons vécu séparément. Je connais le lieu de ma solitude et je n’y retournerai pas. Il me reste cette ville où tu séjournas. Les endroits d’où je t’écrirai seront des bars, des cafés que tu as fréquentés, où des gens que je ne connaîtrai jamais t’auront vue. Chaque soir, je te ferai le récit de cette longue errance. J’organiserai l’espace autour de ton silence, avec un tas d’objets qui ne me diront plus rien. Au cœur de cette absurdité, je retrouverai la trace de ce que j’ai perdu.

 

Cette lettre que je murmure au cœur de la nuit en appelle d’autres, je te l’ai dit. Maintenant que tout est accompli, le reste de notre histoire n’appartient pas à ceux qui croient la connaître, mais à moi seul qui sais.

 

Antoine.

 

 

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