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Le blog du touilleur
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3 juillet 2011

La promesse ou ça dégouline sous les estrades -6-

Dans les couloirs de la faculté de lettres, non loin de la machine à café, quatre étudiants étaient restés à discuter et échangeaient leurs opinions sur cette rentrée universitaire. Trois d’entre eux découvraient ce grand monde inconnu qui leur paraissait à la fois exaltant et angoissant. Et sans doute était-ce la raison pour laquelle ils avaient besoin de partager ce qu’ils tenaient pour une impression complexe. Ils avaient lié connaissance profitant de leur proximité sur les bancs de l’amphithéâtre. Quelques plaisanteries échangées avaient suffi à les rapprocher, avant que le cours de madame Salmont ne commence. Et puis, l’on s’était retrouvé dans les couloirs et à présent, profitant d’un café bien mérité, chacun avait jugé le moment opportun pour se présenter. Angélique commença, très joviale. Elle n’était plus cette jeune étudiante renfrognée qui observait, quelques minutes auparavant, avec une défiance mâtinée de jalousie, mais une jeune femme presque aguicheuse en dépit de son look classique. Elle savait qu’elle pouvait plaire et elle n’allait pas rater l’occasion de montrer qui elle était à ces jeunes pousses fraîchement arrivées.

 

« Bon, Angélique. Je suis ici depuis deux ans. Je redouble ma première année. »

 

Elle baissa la tête, gênée de cet aveu qui lui avait échappé et froissait son orgueil. Mais elle prit le soin d’ajouter dans un sourire et avec une certaine mauvaise foi. « Je n’ai pas fait grand-chose l’an dernier. Je suis beaucoup sorti. On ne peut pas être partout. Lui, c’est mon copain : Laurent. ». Elle désignait d’un doigt triomphant le doux rêveur qu’Armande Salmont avait remarqué et qui, cette fois, demeurait silencieux, couvant son amie d’un regard affectueux.

 

« Il vient de LEA. Ca ne lui a pas plu, alors il tente sa chance en lettres. 

 

-          Enchanté, les gars. »

 

Il tendit la main à un garçon un peu rondouillet, dont le visage était agité de tics. Il s’appelait Anselme. « Anselme ? s’étonna Angélique. C’est un prénom plutôt rare ! ». Le second qui portait une coupe Beatles et mâchait un chewing-gum avec négligence empoigna virilement les doigts de Laurent et lui adressa un sourire presque carnassier : « Arthur, nice to meet you ». Angélique enchaîna :

 

« Eh bien, maintenant que les présentations sont faites, si on allait manger ? Après j’ai du boulot et je ne voudrais pas rentrer trop tard. 

 

-          Il faut d’abord que je prévienne ma mère, rétorqua Laurent en sortant son portable.

 

-          Ma mère… », reprit Angélique avec un rictus narquois.

 

Cette ironie était révélatrice de leur situation différente : l’étudiant avait encore des comptes à rendre à sa famille ou ce qu’il en restait, alors que la jeune femme pouvait jouir pleinement de sa liberté, puisque ses parents habitaient Evreux et qu’elle ne rentrait que le week-end chez elle. Le reste du temps, elle occupait une chambre en résidence universitaire. C’est là qu’elle y avait appris le sens du mot « loisirs ». Elle en avait profité un peu plus que de raison l’année précédente, était devenue une personne moins sage, elle qui avait passé toutes ses années de lycée dans ses livres et ses classeurs. Elle n’avait gardé de ce passé sérieux qu’une allure vestimentaire classique, ce qui ne manquait pas d’amuser Laurent. Sa penderie à lui ne renfermait que trois jeans et quatre pulls élimés aux manches.

 

Ils s’étaient rencontrés à une manifestation contre la réforme des retraites, au moment où des incidents avaient éclaté entre les forces de l’ordre et les étudiants, sur la place de la mairie, à Rouen. Mouchoir sur le nez, elle avait aperçu cette silhouette dégingandée qui suffoquait sous les gaz lacrymogènes. Elle l’avait entraîné un peu à l’écart de la foule. Il se tenait courbé, en piteux état, particulièrement agacé d’avoir été, quelques minutes auparavant, molesté par un CRS, alors qu’il n’était en rien un fauteur de trouble. Elle lui avait parlé calmement, comme elle savait le faire à certains moments et puis cette carcasse un peu maladroite qui tenait difficilement sur ses jambes lui parut assez maladroite pour qu’elle s’y intéresse. Ce garçon avait l’air si désoeuvré. Finalement, on avait envie de le couver. L’avait-il été chez lui ? Pas tant que cela. Il vivait seul avec sa mère, qui travaillait comme infirmière anesthésiste et il avait souvent été livré à la solitude. D’emblée, elle le trouva sympathique, parce qu’il cherchait vainement à masquer cette profonde fragilité derrière une attitude bravache qui le rendait naïf. Ce jour-là, il portait un tee-shirt orné d’une langue à la gloire d’un célèbre groupe de rock. De son côté, il la trouva un peu bourgeoise et elle l’était assurément, puisque elle n’avait pas eu, comme lui, à souffrir des fins de mois difficiles ou d’un foyer séparé. Ses parents étaient tous les eux enseignants et ils l’avaient gâtée comme on gâte parfois un peu trop une fille unique.

 

Leur histoire avait commencé là, au milieu des mégaphones, des fumigènes et des slogans assassins. Née sous le signe de l’affrontement, leur relation en portait la marque indélébile. Mille fois, ils avaient failli se séparer, mille fois ils s’étaient jurés que cette dispute-là qui les laissait en morceaux serait la dernière. Et puis, le manque de l’autre les emportait comme une lame de fond et leur histoire repartait de plus belle. Mais Angélique finissait toujours par avoir le dessus, quoi qu’il arrive. Cependant, il n’était pas soumis au point de rester totalement muet : il lui reprochait notamment de trop sortir, lui qui était plutôt casanier, plutôt enclin à passer ses soirées tranquilles. « Entre potes », pour reprendre son expression. Elle lui expliquait qu’elle avait besoin de vivre, de s’aérer, qu’elle avait été une adolescente trop sage. Il avait fini par le comprendre. Au fond de lui, il savait qu’il aimait. Cependant, il avait toujours été gêné par cette condescendance dont elle faisait preuve à son égard. Il aurait aimé qu’elle reconnaisse ses capacités, car il en avait. Certains jours où sa colère se ravivait contre elle, il s’imaginait qu’elle le prenait pour un type inférieur. Alors il ravalait sa douleur et se mettait à écrire des histoires en secret dans un petit cahier à spirales.

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