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Le blog du touilleur
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21 juin 2011

La promesse ou Ca dégouline sous les estrades -2-

livre-sur-place-2008Depuis longtemps, elle chérissait cet écrivain, en qui elle voyait l’incarnation d’une forme de liberté féminine, au-delà d’une vie que certains avaient jugé ou jugeait encore licencieuse. Depuis qu’elle enseignait à la faculté de Rouen, elle avait réclamé ce cours. Elle en avait défini les contours après une longue relecture, crayon en main, et avait sélectionné les deux livres qu’elle préférait : Indiana et Lélia. Elle les présenta tous deux, en brandissant les couvertures dans un réflexe. Puis elle se reprit, consciente du ridicule de la situation. Un rire avait parcouru l’assistance. Non contente d’être cultivée, Armande Salmont était un peu distraite. Mais elle jouissait d’une réputation à nulle pareille. Elle défendait les auteurs qu’elle aimait avec une telle ardeur qu’on aurait pu croire qu’elle volait à leur secours, alors qu’il s’agissait d’artistes unanimement reconnus : Flaubert, Maupassant, Balzac… et Georges Sand. C’était ainsi. Elle en avait fait des compagnons de route qui la suivaient partout où elle allait. Ses collègues eux-mêmes, loin de la jalouser, enviaient cette passion avec laquelle elle animait son propos, eux qui regardaient la jeunesse actuelle comme un troupeau informe, beaucoup plus intéressé par Facebook et l’I-Pod que par les joyaux de la littérature. L’enseignante, au contraire, ne les jugeait pas avec condescendance. Elle estimait qu’il fallait soi-même être passionné pour se révéler passionnant. Le mépris ne servait à rien, pas plus que les sempiternelles remarques des autres universitaires : « Ils ne savent pas écrire », « Ils n’ont de littéraires que le nom, rien ne les passionne, en fait ».

En même temps, cet investissement qui procédait d’une réelle conviction, lui permettait de cacher une fêlure : car, en dehors de sa vie professionnelle, elle n’avait plus de quoi s’épanouir depuis longtemps. Pourtant, ses amis lui répétaient qu’elle n’avait aucun motif de se plaindre et certains jours, Armande finissait par les croire. Il lui suffisait de quelques petits riens : une bise affectueuse de ses deux enfants ou de son mari pour qu’elle feigne de ne plus se croire seule. A quarante ans, Armande Salmont était ce qu’on appelle une femme accomplie, mais il lui manquait l’imprévu dont George Sand avait fait son miel et que l’enseignant évoquait avec gourmandise : c’était là l’existence à laquelle elle aspirait, celle d’une femme libre, affranchie de toutes les contraintes, se moquant même de toutes les conventions.

A suivre... 

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