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Le blog du touilleur
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6 janvier 2011

"Petit Papa Noël"

          tino_rossiMine de rien, avec sa bonne tête à bouffer du fromage corse, Tino Rossi a réussi à séduire des milliers de dames, qui n’ont jamais rien fait que roucouler ses conneries. Fallait vraiment s’appeler Pagnol pour tendre une main fraternellement méridionale et supporter le sirop de ce chanteur qui s’exhibait encore, au soir de sa vie, sur le plateau des Carpentier. Dans le genre visqueux, « Petit papa Noël » constitue un morceau de choix, éternelle rengaine qu’on ressort comme un cadavre à autopsier, entre le vacherin et la liqueur. Et s’il n’est point besoin de présenter le refrain, aussi connu que le Bordeaux ou la Tour Eiffel, une analyse linéaire nous permettra de faire définitivement un sort à cet insupportable étendard de la morale bigote.

Usée comme une catachrèse, la métaphore du « manteau blanc » ouvre la chanson, fixant l’image surannée d’un Noël où le flocon s’invite, alors que généralement, c’est plutôt l’oncle ou la belle-sœur qu’on n’a pas souhaités. Saturée d’images pieuses, la strophe se poursuit sans vergogne, évoquant « les petits enfants » « à genoux », « les yeux levés vers le ciel », vers on ne sait quelle transcendance d’ailleurs, car on sait bien que ces petits moutards n’en n’ont rien à foutre de Dieu, et qu’ils ne pensent qu’au père Noël à ce moment précis. On voit par là que le parolier, Raymond Vincy, confère à son propos une dimension apologétique tout à fait inadmissible : c’est le règne du Tout-Puissant qu’il s’agit de glorifier ! Je rappelle que nous sommes en 1946, l’Eglise et l’Etat ont divorcé depuis plus de quarante ans…

           Le refrain succède à cet insupportable tableau, achevant d’enfonçer le clou : le point de vue jusque-là omniscient devient celui d’un enfant, dont les souhaits sont modestes. A la profusion des cadeaux que transporte le père Noel (« jouets par milliers »), répond en antithèse la taille du soulier (« petit »), symbole d’une humilité toute chrétienne. Qui empêche le gamin de mettre une botte, et d’en demander bien plus ? La prévenance que manifeste l’enfant à l’endroit du célèbre barbu (« Il faudra bien te couvrir ») est anéantie par l’auto-flagellation qui suit : « Tu vas avoir si froid/C’est un peu à cause de moi », comme si le gosse devait battre sa coulpe, et endosser la responsabilité d’une virée nocturne finalement bien imprudente, si l’on considère que le père Noël se fait aussi rincer. On ne disconviendra pas que l’émotion qui clôture le refrain peut susciter la compassion, mais elle repose sur une familiarité gênante -« joujou »- qui ridiculise l’enfant, et prive son langage de toute distanciation critique, le figeant dans une posture béate insupportable : « que je vois en rêve ». A contrario, le père Noël se trouve magnifié, mythifié.

            Le couplet suivant marque le retour du point de vue omniscient, celui de l’adulte considérant avec un brin de commisération et de mépris les enfants qui « vont faire dodo » (on notera l’usage du langage volontairement puéril). Mais que dire du pronom « tu » qui suit, dans le troisième vers ? Il pose avec ambiguïté le statut de l’énonciateur. S’agit-il de l’enfant qui s’est auparavant adressé à lui, ou de l’adulte qui se permet une familiarité de mauvais aloi ? En revanche, le prosélytisme que nous avons évoqué au début de notre étude se cristallise dans une imagerie d'Epinal insupportable : « hotte », « cloches » et « églises » sont convoqués comme des parangons du conformisme mou et chrétien. La fin de ce pensum tient plus du pétard mouillé que de l’acmé : « surprises » claque comme un fouet. Mais c’est plutôt celui de Paul Prédault.

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