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Le blog du touilleur
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9 décembre 2010

8 décembre 1980

160463_john_lennon_637x0_2Il y a trente ans et quelques heures, Mark David Chapman assassinait John Lennon, à l'entrée du Dakota Building, près de Central Park West, à New-York. La rock star rentrait d'une séance studio dévolue à l'achèvement du morceau de Yoko Ono, "Walking on Thin Ice", le plus grand succès de l'artiste japonaise, à ce jour. Quelques heures auparavant, l'ex-Beatle avait signé un autographe à son futur assassin : "John Lennon 1980". La pochette du disque "Double Fantasy" confisquée au criminel montre un paraphe particulièrement négligé.

Avec son ironie habituelle et son sens de la prédiction, Lennon aurait pu écrire : "John Lennon 1940-1980", s'il avait su que quelques heures plus tard, celui qu'il prenait pour un fan parmi d'autres allait retourner sa rage contre un artiste qu'il était censé aduler. Mais l'ex-Fab Four ne vit rien venir. Car en 1980, on n'assassine que les hommes politiques, pas les chanteurs. Et le meurtre de Lennon souligne à quel point, malgré la séparation du groupe, la folie était toujours prête à se déchaîner, celle-là même qui poussait des jeunes filles à se pâmer pendant leur concert, le Ku-Klux-Klan à menacer leur intégrité physique, celle-là même qui empoisonna la dernière tournée des Beatles en 1966 et les conduisit à privilégier une carrière studio, renonçant pour toujours à la scène.

La seule fois où les quatre de Liverpool jouèrent en live après 66, ils le firent en hauteur, loin des tumultes du monde, sur le toit venteux des studios Apple, en 1969. Et ils regardaient la foule des londoniens respectables s'agiter à leur pied, comme de minuscules fourmis. Alors bien sûr, Chapman est un malade mental. Mais il est troublant que son obsession se soit cristallisée sur une icône de la paix et qu'en cela il ait rejoint la triste cohorte de ceux qui lâchèrent la violence sur ceux qui la combattaient. Les fantômes de Luther-King, Gandhi ou Robert Kennedy peuvent témoigner.

dakotaEn 1980, Chapman-le-schizo tue un double qui lui ronge l'existence, le pousse à avoir une femme japonaise lui aussi, à se faire passer pour un ingénieur du son "d'un enregistrement de Lennon et McCartney" ou à se prendre pour Holden Caulfield, le héros de L'attrape-coeur. Lennon ne représente pour lui qu'un hypocrite vendu au système qui se fait le chantre d'un monde "sans possession", mais vit luxueusement dans un immeuble de plusieurs étages, achète des tableaux et des demeures partout. Sans le savoir, Chapman se trompe de cible : car Lennon se trouve bien en retrait de ces contingences matérielles. Celle qui gère les affaires, dans ces années de retraite, c'est Yoko Ono. Si Lennon était un homme d'affaires, ça se saurait. Jagger, oui. Mais pas lui... les Beatles ont failli couler Apple et la seule velléité de John aura été d'appeler Allen Klein, qui tenta de sauver l'entreprise.

Est-ce que le 8 décembre 1980 fait partie de l'histoire des Beatles ou de celle de Lennon ? Dans les chronologies qui leur sont consacrées, c'est une date qui est tout le temps mentionnée, après un blanc de dix ans... comme si elle scellait définitivement la fin du groupe, selon un anachronisme caractéristique. Si les fans souhaitaient encore la reformation du quartette, le bon sens commandait que cette réunion n'eût jamais lieu. Et comme les Fab Four n'en étaient pas artistiquement dénués, ils refusèrent les ponts d'or qu'on leur offrit pour alimenter la première nostalgie de l'histoire du rock. D'autres ont cédé depuis : les Sex Pistols, Police et même les Doors sans Morrison.   

En 1980, John Lennon n'a pas envie de répéter l'histoire pour ceux qui ne l'ont pas comprise en une fois. Il pressent que répéter, c'est balbutier et que les Beatles ne constituent qu'une étape dans un cheminement personnel. C'est cela et cela seul que Chapman interrompt, pas un mythe qui était figé dans la glace des années 60, avant même la mort du chanteur. Et quand bien même le groupe se serait reformé, cette histoire-là n'aurait pas été entachée. On les aurait pris pour d'autres, une parodie d'eux-mêmes. Les Beatles meurent d'usure en août 1969. Dans les années 70, John Lennon devient un rockeur parmi d'autres, sans doute ce qu'il souhaitait lorsque dans l'oeil du cyclone ou sur la proue du navire, il se grisait et se désolait en même temps d'une gloire qui lui collait à la peau.

De ce point de vue, son retrait de la vie publique pendant quatre et des poussières dit combien la pression dut être insupportable. Il fallait vraiment s'appeler McCartney pour s'en satisfaire, sans fuir les feux de la rampe. Mais Macca reconstitua la matrice (les Wings), quand Lennon la déclina sous des modalités plus lâches (le Plastic Ono Band) et l'envoya finalement ad patres, de 73 à 75, avant de claquer définitivement la porte.

mark_chapman_460_793808aLe 8 décembre 1980, John Lennon tente de se frayer un chemin parmi la foule des fans du Dakota, sans remarquer le joufflu binoclard qui agite son LP et quémande un autographe. Peut-être s'étonne-t-il qu'un jeune de 25 ans puisse s'intéresser à la musique d'un vieux frère, débordé par le punk, la new-wave ? A quoi pense-t-il ce rocker qui n'a plus rien à prouver, si ce n'est vivre le restant de ses jours avec un chef-d'oeuvre en bandoulière ? Ou se dit-il déjà que parmi tous ces adulateurs l'un d'eux aura un jour sa peau ?...

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