Banalités

Une posture sémiologique somme toute modérée consiste à adopter, comme le dit Barthes, « une tactique double ». Le combat contre la Doxa  (c’est-à-dire l’opinion courante, petite-bourgeoise) appelle de facto la lutte contre ceux qui veulent abolir le sens au nom d’une logique commune, s’érigeant en fait de nature. Mais à l’opposé, le discours scientifique qui voit le sens à chaque coin de rue doit être battu en brèche au nom de ce que Barthes appelle « l’utopie du sens aboli ». Il ne faudrait cependant pas, sous couvert d’une activité intellectuelle qui s’épuiserait à traquer les foisonnements de signes, rejoindre la cohorte de ceux qui ne s’y sont jamais intéressés ou les ont niés, conscients que leur réflexion tout entière en serait ébranlée. Les lieux communs rendent le monde si rassurant que chacun de nous est tenté d’y céder par paresse ou par confort. Au-delà, les tautologies sont des vecteurs de la communication ou d’une vie sociale. Qui pourrait se plaindre qu’ « un sou est un sou » ou que « l’heure c’est l’heure » ? Ceux qui postulent -à juste titre- le néant argumentatif de telles assertions conviennent que le bon sens va de pair avec l’absence d’une pensée qui oserait le risque d’être contredite. Fatalement, une société à qui l’on tarirait sa source de lieux communs s’en inventerait d’autres pour subsister. Léon Bloy a bien tenté de clouer le bec à la bourgeoisie. Mais le virus est mutant et les banalités ont survécu à l’invective. On peut évidemment chercher des coupables : les médias, les hommes politiques, etc. Cela dit, la langue est avant tout ce que le peuple en fait et il est très facile, alors même qu’on se dit citoyen, d’incriminer -par exemple-ceux qui nous représentent. Plût au ciel que ceux qui, au nom de ce bon sens commun, inondent l’espace public de leurs puérils gémissements, n’aient jamais le pouvoir.