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Le blog du touilleur
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22 mai 2010

Lettre à Scarlett Johanson (2004)

                               scarlett_johansson_26Ma chère Scarlett,

une heure trente durant, le temps a suspendu son vol, et dans cette immense salle où nous n'étions que quatre, chacun a retenu son souffle, fixé votre regard, écouté vos silences, et arpenté bien des chemins en votre compagnie, de la folie urbaine de Tokyo à la sérénité agreste de Kyoto. Avec vous, nous avons chanté "Brass in the pocket" des Pretenders, écouté la réponse de Bill Murray, convoquant Elvis Costello et Brian Ferry, d'une voix de crooner mal assurée. Et quand la nuit a rejoint le matin, nous avons refermé la porte aussi discrètement que votre chevalier servant. Puis nous avons repris les couloirs de l'hôtel, désertés par les clients, comme si le monde était ailleurs...

Ah, Scarlett ! Que de fois j'ai rêvé de vous retrouver, fuyant dans des scènes oniriques peuplée de geishas, votre photographe trop pressé de réussir ? Depuis que vous m'apparûtes sur l'écran, je hante les Formule 1 et les Etap Hotels à la recherche du fantasme ultime, de la litote sur jambes, du non dit, du non fait...

J'arpente moi aussi les couloirs en robe de chambre, la serviette au bras, avec cet air faussement détaché qui sied aux hommes d'expérience, le visage buriné par le poids des ans, partis nulle part et pourtant revenus de tout... et en même temps, si près à s'enflammer, pour peu que le destin le veuille.

Si la vie respectait la ponctuation, elle ouvrirait des parenthèses où un homme et une femme fuiraient, ne fût-ce qu'un moment, leurs engagements et leurs certitudes. Et ces parenthèses seraient pleines de points de suspension, où chacun à sa guise pourrait habiller les silences de l'autre avec ce qu'il faut de rêve, pour que l'existence ne se dessèche pas, ne meure pas par habitude.

L'on comprendrait alors que l'aventure est une nécessité, car elle ouvre tous les champs du possible. Au coin de le rue, comme de cet hôtel où le hasard noue la rencontre, l'existence bifurque vers un autre ou un ailleurs, et la ligne droite se courbe enfin, vous délestant du poids de la raison. Vous ne l'avez pas voulu. C'est la vie, et c'est très bien ainsi.

L'art et l'amour sont des anti-destins. Je complète Malraux qui, contrairement à Héléna Noguerra, n'a pas compris qu'on peut vouloir l'attraction sans la gravité. Mais qu'est-ce que la passion pour un gaulliste chevrotant et pleurant sur les chênes qu'on abat ?

Heureuse Scarlett, pardonnez ce détour et considérez-le comme un ultime hommage que mon coeur rend aux sentiments, avec beaucoup d'injustice pour ceux qui leur sont étrangers. Je me trompe sûrement. Malraux a dû aimer. Comme tout le monde. De mille façons. Et il vous aurait suivi comme cette caméra qui vous écharpe, dominant l'espace urbain, du haut de cette immense vitre.

L'heure a sonné, hélas, qui m'oblige à prendre congé de vous. Je rejoins l'autoroute. Et tandis que la caméra fuie dans un mouvement ascensionnel, j'emporte votre image comme gage de ce moment passé avec vous.

                         Votre dévoué et anonyme.

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