Une lettre à Desproges sur Dialogus.

Dialogus.org est un site rigolo qui permet de faire des économies de guéridon. Vous écrivez à une personnalité morte, et si elle est encore dans les limbes, elle vous répond.

J'ai envoyé une petite bafouille à Pierre Desproges, il y a quelque temps, et son esprit m'a répondu, même si je préfère quand même l'original au carbone. Entre crochets et en rouge -on ne se refait pas-, quelques remarques...

Cher monsieur,

L'admiration que je vous porte n'exclut pas la critique. Ne pensez-vous pas que vous avez parfois rentabilisé un tic d'écriture? Ces longues phrases «qui tombent dans le ravin», comme vous le disiez, n'en avez-vous pas trop abusé? N'avez-vous pas fait du Desproges à longueur de temps, sans chercher à vous renouveler?

Bien à vous, tout de même.

Jérémy

Monsieur,

«Tous les hommes naissent libres et égaux en droit». Donc, je suis libre de faire ce que je veux [ça c'est rigolo]. Et j'ai suivi le chemin de tant et tant d'écrivains en faisant ainsi. Ne trouvez-vous pas que Voltaire a passé sa vie à faire du Voltaire à longueur de temps? Ne trouvez-vous pas que Jean-Baptiste Poquelin a fait des pièces toujours basées sur le même schéma comique [bof pour la phrase ; d'abord, on ne dit pas "basées sur", mais "fondées sur"; et puis lisez George Dandin, vous verrez que Molière a un peu perverti le schéma que vous appelez "comique"]? Je vous le demande, en votre putain d'âme et bordel de conscience, n'est-ce pas là ce que l'on appelle le style d'un auteur?

J'aime ces grandes phrases qui vous font oublier le début alors qu'on n'a pas encore entrevu la fin, et qui vous essoufflent parce que le sadisme du scribouillard qui vous les pond [métaphore trop commune] le force à mettre des virgules piégées précisément deux mots après la suffocation du lecteur, juste avant une note de bas de page invitant ledit lecteur à arrêter son entraînement pour le record du monde d'apnée [il y a le souffle de la phrase desprogienne, mais pas le style]. Donc, forcément, logiquement, les aimant, je les utilise.
Alors, oui, j'ai fait du Desproges à longueur de temps, je l'avoue, oui. Mais j'ai une bonne excuse: je suis Desproges, j'aurais eu beaucoup de mal à faire autre chose que du moi-même. Et je continue à en faire, d'ailleurs, pour votre gouverne personnelle. [pas mal, pas mal]

J'éprouve une frustration immense lorsque, ayant sué sang et eau pour tourner une jolie phrase, pour la lancer, la propulser, je la vois bêtement s'arrêter au bord du gouffre. Alors je la pousse, pour qu'elle tombe. Dans le ravin, justement [ça j'aime vraiment bien]. Je ne sais plus qui disait: «La beauté est dans la chute.» Et il arrive que j'aie à pousser fort. Ça peut se sentir. [ça aussi]

Voilà. Mais je suis content que vous m'écriviez avec un petit regard critique [hé, hé], voire même légèrement bovin, ça me change des inénarrables «j'aime beaucoup ce que vous faites, monsieur Guy Lux.» C'est pourquoi je n'ai presque pas envie d'être méchant avec vous. Je suis dans le box des accusés, vous êtes le procureur, ce n'est plus ce que c'était, tout fout le camp, si ça se trouve, votre président de la république est tellement à droite qu'il était copain avec Mitterrand, mais je m'égare, et pas seulement du RER D. [oui, oui, oui]

Alors, oui, j'use et j'abuse de phrases de trois kilomètres de long, je réutilise mes meilleurs gags, oui, je me copie, me plagie, me pompe, me corrige, je le sais, mais je le vis bien. Très bien, même, très confortablement. Dans un petit manoir de province. [plaisant, plaisant]

Et c'est bien surestimer le potentiel littéraire de mes diarrhées scribouillardes que d'en faire une telle analyse. Je suis censé être clown, pas poète. [chouette, ça]

Pour finir, non, ce n'est pas un tic. C'est volontaire.

Avec mes respects,

Pierre Desproges

Comments

[imerege]

Oui, j'aime bien ces deux paragraphes aussi. Eric et Ramzy ne sont pas les pires. Nous avons, à Grand-Quevilly, un comique de la plus belle eau formé dans les couloirs de mon collège...

[FS]

C'est rigolo en effet. Je trouve particulièrement bons les §§ 5 et 6.

Mais foin de nostalgie. tant qu'il nous reste Eric et Ramzy...